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En 2016, la victoire du Brexit et de Donald Trump a bousculé les prévisions et les certitudes des observateurs. Aujourd’hui, les règles de gouvernance et de communication politique sont à nouveau ébranlées par les mouvements citoyens. Ils naissent de manière spontanée et échappent à tout contrôle jusqu’à remettre en question la légitimité des corps intermédiaires et les règles de démocratie représentative.


Avec un smartphone et Facebook, les citoyens font trembler leurs représentants. La faute aux réseaux sociaux ? Sans doute, mais pas seulement. Entre les mandataires et leurs administrés, les modes d’expression ont changé. Et il est urgent d’acquérir de nouveaux réflexes.

Démocratie directe, participative, citoyenne : un même constat

Le mouvement des gilets jaunes a secoué le gouvernement français et fait bouger les lignes politiques. En Belgique, la marche des jeunes pour le climat prend de l’ampleur et suscite les mêmes réflexions. Le citoyen prend la parole, veut influer sur les décisions en se passant de ses représentants qu’il juge en décalage avec ses aspirations.

Les élites autrefois respectées sont aujourd’hui les cibles à abattre

Les journalistes, les partis politiques et les syndicats sont les premiers à en prendre pour leur grade car, aux yeux de certains citoyens, ils font partie du « système ». Celui qui empêche que le pouvoir change réellement de main. Eux qui ont toujours été à la fois tampons et accélérateurs des contestations, voilà que ces mouvements leur échappent.
Comment les représentants des citoyens peuvent-ils reprendre la main sur le temps long de la vision et de l’explication politique, sans être suspectés de récupération de ces mouvements spontanés ? Car ils ne les ont – par définition – ni initiés, ni vus grandir.
Est-ce que l’usage des réseaux sociaux dans toutes les couches de la société est la raison du problème, comme on l’entend souvent ?

Est-ce que l’usage des réseaux sociaux dans toutes les couches de la société est la raison du problème, comme on l’entend souvent ?

Peut-on encore gouverner avec les réseaux sociaux ?

Poser la question, c’est constater qu’il existe désormais un puissant décalage entre les règles de gouvernance politique, affinées durant des décennies, et une réalité de terrain qui peut faire émerger en quelques jours d’illustres inconnus au rang de chefs de file, capables de galvaniser et d’inspirer des milliers de personnes. Les projecteurs médiatiques ne font que leur donner une visibilité et une légitimité supplémentaire. Les réseaux sociaux les transforment en témoins et porte-étendards d’une cristallisation citoyenne dont les représentants élus ne sont alors plus les seuls garants.

Greta Thunberg, 15 ans, égérie de la démocratie citoyenne

Qui connaissait, il y a quelques semaines, Greta Thunberg, l’adolescente suédoise qui a initiée les marches de jeunes pour le climat ? A 15 ans, elle vient de livrer un discours magnétique à la COP24, puis récemment à Davos devant un parterre de décideurs médusés par son aplomb : « Vous parlez de croissance économique verte et durable parce que vous avez peur d’être impopulaires ».

C’est elle qui a inspiré ces marches de jeunes en faveur du climat dans les rues de nos villes. Elle appelle désormais à une grève scolaire internationale le 15 mars.

Elle préfigure sans doute ce nouveau militantisme d’anonymes qui font bouger les foules en s’affranchissant de leurs représentants pourtant élus démocratiquement. Avec les réseaux sociaux, leur voix devient puissante et l’effet boule de neige balaye tout sur son passage.

« La loi de la rue avant la rue de la Loi »

Ces mouvements spontanés de contestations citoyennes sont les symptômes de changements plus profonds.

Celui déjà bien identifié de la montée du populisme. Donner une réponse simple, voire simpliste à un problème complexe. En tout cas, en pointant du doigt l’inutilité des élites, des technocrates, au prétexte que le peuple a du bon sens et sait ce qui est bon pour lui.

Le populisme n’est pas récent. On le retrouve déjà dans des courants politiques contestataires dès la fin du XIXe siècle. Le mot « populisme » est aujourd’hui utilisé à toutes les sauces, presque autant que « fake news » auquel il est d’ailleurs souvent associé. La communication sur Internet a favorisé cette simplification du discours. Résumer une promesse ou une solution à un slogan, une punchline, un titre accrocheur ou un bon mot ne permet pas de développer un récit et une réflexion plus complexe.

Les réseaux sociaux favorisent la contestation, le clivage et l’exacerbation des émotions

Mais la montée du populisme dans les discours politiques ne peut pas expliquer à elle seule l’émergence, en quelques années, de ces besoins de démocratie directe. Ce sont les réseaux sociaux qui lui ont donné un immense coup d’accélérateur. Ces outils de transmission de l’information et de la parole sont à la fois planétaires, décentralisés et immédiats. Ils permettent surtout à chacun de faire entendre sa voix, de libérer la parole et les idées. Pour le meilleur et pour le pire.

Les réseaux sociaux n’ont pas transformé les citoyens en polémistes haineux ou en lanceurs d’alertes légitimes, mais ceux qui l’étaient déjà, sont devenus tout à coup visibles. Et parfois très visibles car relayés par ceux qui leur ressemblent. Voilà un nouveau paradigme : il est devenu normal et habituel d’affirmer ses idées, ses positions, ses envies, souvent par opposition à celles des autres. Chacun se sent agressé, chacun agresse alors l’autre pour se défendre.

Une invasion d’imbéciles ?

Uberto Eco à propos des réseaux sociaux
«Ils ont donné le droit de parole à 
des légions d’imbéciles qui, avant, 
ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin 
et ne causaient aucun tort à la collectivité.

L’écrivain et philosophe Umberto Eco livre son analyse à l’emporte-pièce de ce phénomène. « Que pensez-vous des réseaux sociaux ? » lui demandait-on en 2015. «Ils ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.»

Et au journaliste qui lui demandait « Est-ce à dire qu’internet déforme les esprits ? », il répondait : « Il faut juste être armé pour s’en servir. C’est comme un super bolide qu’il faut savoir conduire. Sinon, on va dans le mur. »

Une école de conduite sur les réseaux sociaux. En d’autres mots, une éducation aux médias. C’est certainement l’un des chantiers indispensables qui doit continuer à mobiliser les journalistes, les enseignants mais également les parents. Car nous sommes tous à la fois le problème et la solution. Les médias multiplient les initiatives : fact-checking ou programmes à destination des plus jeunes : Niouzz+ sur la RTBF, Escape news sur France 4. Mais soyons réalistes, il faudra des années avant d’apporter prudence et sagacité à chaque réaction d’internaute. Il faut donc trouver un autre moyen pour reconnecter les citoyens avec le temps long de la parole politique.

Les réseaux sociaux ont libéré la parole et les frustrations

Chacun s’offusque de prises de positions marquées idéologiquement, mais paradoxalement, les discours les plus clivants sont ceux qui sont les plus relayés et qui agrègent des communautés importantes. Cette tendance se retrouve d’ailleurs de plus en plus dans la communication d’entreprise et le marketing digital : prendre position, choquer pour mobiliser avec soi les convaincus et créer en face une vague de contestation chez d’autres militants. Car ces opposants contribueront malgré eux à la visibilité du message.

La solution ? Adopter les réflexes de la communication de crise

Analyser les risques potentiels, définir en temps de paix « qui fait quoi » si une crise survient, identifier et agir dès les signaux faibles, occuper voire saturer l’espace médiatique. Tout cela parle aux communicants de crise. Ce sont sans doute des réflexes qu’il va falloir acquérir pour ne pas perdre pied dans sa communication traditionnelle.

1. Garder la maîtrise du tempo et prendre de l’avance si c’est possible. Il s’agit d’anticiper les contestations éventuelles et de préparer un contre-feu à mettre en place avant que l’incendie ne se déclare. Le pied sur le frein et sur l’accélérateur en même temps avec une prise de pouls permanente de l’opinion publique.

2. Face à une contestation émotionnelle, une réponse factuelle est inaudible. L’émotion doit appeler l’empathie. Il ne s’agit pas de « noyer le poisson » mais bien de faire redescendre la pression pour entamer un dialogue et l’emmener sur un terrain plus propice aux échanges d’idées avec une vision de construction d’un compromis voire d’un projet commun. A toute contestation émotionnelle « On ne nous écoute pas ! », il faut répondre avec empathie « vous avez raison de nous interpeller, vos remarques sont légitimes. Il faut certainement mettre plus de parole citoyenne aux commandes de l’action politique ». Puis seulement apporter des propositions concrètes « Lundi à 18h, nous invitons tous ceux qui le souhaitent à venir expliquer leurs propositions. Nous devons en ressortir avec 3 propositions concrètes que nous irons défendre au gouvernement la semaine prochaine. »

3. La réponse à une contestation doit toujours être proportionnelle aux enjeux et à la virulence des critiques. Si la réponse est sous-calibrée, la contestation ne prendra que plus d’ampleur car elle ne sera pas à la hauteur de la charge émotionnelle. Effet catalyseur garanti. Si la réponse va bien au-delà des critiques, vous ouvrez la porte à d’autres contestataires qui vont y trouver un effet d’aubaine. Effet boîte de pandore garanti.

4. Créer un socle réputationnel. Si vis pacem, para bellum. « Si tu veux la paix prépare la guerre ». C’est en dehors des périodes d’élection qu’il faut communiquer. Ouvrir le dialogue, montrer l’exemple, montrer des projets réalisés et leurs effets, humaniser et incarner la parole politique avec des actes et des visages. Pour cela, l’Internet et les réseaux sociaux sont des outils parfaits.

Pour rester connecté à ses citoyens lorsque la tempête survient, la recette n’a finalement pas changé.

A l’approche d’élections, un ou une mandataire politique va aller au contact de ses électeurs. Elle ou il va choisir le lieu le plus adapté : un marché, un rassemblement, une fête de village, un évènement local, dans lequel il y aura plus de citoyens neutres ou partisans que d’opposants. Son équipe aura réfléchi au préalable à des arguments adaptés aux circonstances et aux contestations détectées. Si les sondages montrent des signes de faiblesse, il faut chercher à comprendre à quoi est due sa perte de popularité pour corriger le tir.

Sur Internet, les réflexes doivent être les mêmes. La communication sur le Web et les réseaux sociaux, c’est d’abord de la communication.

  • Analyser mes risques : quels sont les griefs que j’entends le plus souvent concernant mon action ou celle de mon parti ? Cela doit nourrir mes arguments et me permettre de choisir les bons relais.
  • Comprendre mon écosystème digital : sur Internet, quels sont mes ambassadeurs, mes opposants, les observateurs qui commentent de manière neutre notre action ? Ce sont eux qui vont relayer mon message. Positivement et négativement. Je dois en discuter au préalable avec eux, ils me permettront d’anticiper les réactions de l’opinion publique.
  • Choisir mes arguments : communiquer ce n’est pas parler, c’est se faire comprendre. On reproche de plus en plus aux mandataires politiques de privilégier les luttes politiciennes au détriment des « vrais questions des gens ». Sur Internet, mon image et celle de mon équipe doivent refléter davantage les aspirations de mes concitoyens dans des projets concrets que les lignes directrices mon parti.
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