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Grand favori, grand perdant. Comme un air de déjà vu. Alain Juppé, chouchou des médias et politicien français le plus plébiscité des sondages durant des mois a de quoi en perdre sa super pêche (sic). Comment le sage de la droite française a-t-il pu laisser sa campagne tomber en désuétude si rapidement ? Essoufflement ? Bourdes ? Profil vieillissant ? Analyse.

Papy cool pour les uns, sage rassembleur pour les autres, « le meilleur d’entre nous », comme l’appelait l’ancien président de la République française Jacques Chirac, a fait du chemin depuis les années 90.
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Longtemps jugé arrogant et machiste par les français, Alain Juppé a bénéficié d’une presse particulièrement flatteuse durant les mois qui ont précédé l’issue de ces élections de la Primaire de la droite et du centre française. Et de surcroît, d’une large couverture médiatique. Il s’est vu hisser au rang d’homme politique préféré des français et de candidat favori à cette Primaire qu’il avait tant voulue… avec François Fillon. Son « En politique, on n’est jamais fini. Regardez-moi ! » lui avait même valu le Grand Prix 2014 du Press Club, humour et politique qui récompense la phrase « la plus hilarante de l’année ». Pour quelqu’un jugé de non avenant et condescendant à une époque, cette Primaire fût une volte-face de premier choix auprès de l’opinion publique qui lui a été offerte.

Bref historique

Cette popularité dont l’impact dans les urnes a fait pschitt au soir du 27 novembre n’a pas toujours été ce qu’elle fût durant cette campagne. Alain Juppé est un vieux de la veille comme on dit. En 1995, Premier ministre sous Jacques Chirac, il accusait une forte impopularité, notamment à la suite des mouvements de grèves en réponse au plan Juppé sur les retraites et la sécurité sociale, jugé régressif par une frange de la population. Il se verra également condamné à quatorze mois de prison avec sursis et à un an d’éligibilité dans l’affaire dite des emplois fictifs. Il s’est exilé au Québec en réponse à ce déboire judiciaire. Condamné par la justice, lynché par les médias, exilé à l’étranger, on a cru l’incompris de Bordeaux fini, mais… Il est revenu en France pour un nouveau combat politique. D’abord avec les législatives de 2007, qui se soldèrent par un autre échec. Ensuite dans son bastion de Bordeaux, comme maire, où il s’est refait. Plus discret pendant un temps, il est réapparu au devant de la scène politico-médiatique en vue des élections présidentielles de 2017 à laquelle il annonça sa candidature par l’intermédiaire de la Primaire à l’été 2014. Plus de deux ans se sont écoulés depuis. Et 2016 marque un nouvel échec qui sonne le glas d’une retraite politique que ce dernier trouvera inattendument anticipée. Retour sur le façonnement d’une image policée dont la finalité se nommait Elysée.

De la froideur à la grandeur

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La volonté de gommer l’image perçue d’un représentant politique froid et peu souriant est un aspect clé du travail de correction d’image auquel s’est attelé l’équipe du maire de Bordeaux durant la campagne qui vient de s’achever. La rupture voulue avec cette attitude dédaigneuse autrefois reprochée au Bordelais s’est traduite par une volonté de rencontre, de contact direct entre un candidat présenté comme bonifié par l’âge, et ses partisans. Tout en restant lui-même, insistant sur ce point tel un gage de constance et d’authenticité lors de sa campagne.
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L’équipe d’Alain Juppé s’est donné le temps de parfaire et d’asseoir cette image rafraîchie du maire de Bordeaux, le positionnant en homme d’état expérimenté, sage et altruiste. Sur les plateaux télés ou sur le terrain, le candidat a tenu un discours modéré au ton sagement tempéré, mêlant la vergogne à l’incisif. Il s’est en quelque sorte placé au-dessus de la mêlée et de facto hors du champ de la politique politicienne, fuyant les pièges qui l’ont poussé dans une confrontation directe avec Nicolas Sarkozy. Le slogan de « France apaisée » porté un temps par la candidate Marine Le Pen, c’est le message implicite qu’Alain Juppé a véhiculé au travers de sa posture et de ses interventions tout au long de cette campagne. Il s’est voulu singulièrement rassembleur et présidentiel, donc présidentiable. La crédibilité de sa posture que son âge —71 ans, le 15 août dernier— a justifiée s’est appuyé sur ce « un seul mandat, un seul président » affirmatif qui l’a distingué de ses concurrents, souvent accusés de se préoccuper davantage de leur propre réélection que des réformes à mener pour le pays.

Une rhétorique de campagne bien ficelée

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À chaque campagne ses verbes et ses slogans. Le verbe pour Alain Juppé, c’était « agir ». Et ce n’est pas un hasard. La consonance des initiales « AJ » pour Alain Juppé résonne avec le verbe choisi par le candidat et son équipe pour appuyer le projet et insister sur l’importance de l’action plus que des mots, critique régulièrement portée à l’encontre des gouvernants. L’usage d’un point d’exclamation à l’anglaise (sans espace) avec la lettre « J » évoque la lettre « i » et prolonge le son du verbe « agir » dont la lecture implicite est suggérée. À cela, le point d’exclamation a également ajouté une touche de dynamisme aux initiales et, dans une certaine mesure, aussi bien au candidat —à qui certains reprochaient son âge— qu’à l’action suggérée du verbe et de son programme. 30112016_article-alain-juppe_image-8Par extension, cela nous donnait « AJ! pour la France » pour « Agir pour la France » et « Alain Juppé pour la France ». Grand bien lui fasse, il ne s’est pas vu moqué avec des AG et autre AJT. À voir comment il s’est engouffré dans le piège humoristique d’Ali Juppé, on se dira que ça n’était pas plus mal. Côté slogans périphériques, on a eu droit à « En 2016, nous avons encore le choix. », « Agir Avec Juppé » ou encore « Le 20 et le 27 novembre 2016, je vote Alain Juppé ! », spécifiquement pour la Primaire. Pour ce qui est des couleurs, ce fût un code couleur bleu blanc rouge classique, à l’image du drapeau français.

Du chemin parcouru sur la toile

Blogueur assidu depuis plus de 10 ans, le maire de Bordeaux n’est pas étranger à la production de contenu sur Internet. Il a fait de son « blog-notes » www.al1jup.com un support incontournable de sa communication numérique pour activer sa campagne en vue de la Primaire. C’est d’ailleurs via ce canal qu’il a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, et a exposé les grandes lignes de son projet pour la France. Côté réseaux sociaux, l’équipe d’Alain Juppé a préféré une adoption lente des canaux, ne cédant pas à la chasse aux likes et affichant une certaine cohérence avec l’image voulue d’un candidat sage et patient, qui prend son temps. Après avoir annoncé sa candidature et lancé officiellement sa campagne, Alain Juppé et son équipe ont maintenu et progressivement intensifié la communication en ligne du candidat, se positionnant sur un double créneau : un premier pour ratisser large avec les comptes officiels d’Alain Juppé sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube, et un second avec des comptes sur ces quatre mêmes canaux, mais à l’attention exclusivement des jeunes. Cette dernière approche s’est d’ailleurs vérifiée dans la presse avec une volonté de toucher un public jeune, le plus large possible. Côté hashtags, on a retrouvé le hashtag de campagne type avec #AJ2017 et des hashtags comme #JEUNESAJ #avecJuppé, #TeamJuppé et #JeunesvotentJuppé sous le slogan « Les jeunes avec Juppé » pour le public juvénile.
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La stratégie numérique de campagne du candidat s’est inscrite non pas comme une finalité, mais comme un levier d’acquisition d’électeurs tout au long de la campagne. Ce qui importait, c’était l’action sur le terrain et l’expression militante la plus large possible dans l’urne pour permettre de mener à bien la course à l’Elysée. Comme l’a souligné Eve Zuckerman, directrice de campagne numérique du candidat à l’époque, « le pôle digital d’une campagne dépend également du pôle mobilisation. La stratégie numérique est complètement intégrée aux objectifs de mobilisation d’une campagne. » Cette stratégie numérique s’est donc inscrite dans un long processus pro-actif d’implication des militants et des électeurs potentiels avec une attention toute particulière portée à la jeunesse. Le chemin qui devait mener du like à l’urne exigeait une forme de dialogue tout au long des semaines avec les soutiens du candidat. Pour cela, l’équipe de campagne a privilégié l’emailing en parallèle à l’engagement de l’audience sur les réseaux sociaux et aux sites ad hoc pour appuyer le projet sur Internet. Pour ce qui est des sites Internet, trois sites de campagne ont été lancé : un site global (www.alainjuppe2017.fr, également accessible via www.ajpourlafrance.fr), un site dédié à l’action pour les jeunes (www.jeunesvotentjuppe.fr) et un site pour la promotion de ses quatre livres-programme (www.versunnouveaumonde.fr) qui s’est décliné en sous-sites explicatifs pour chaque livre. Tout semblait en place pour un succès flamboyant : un campagne bien rôdée, une presse élogieuse et des sondages encourageant tout au long des semaines.

Oui, mais…

Si Alain Juppé est parti tôt dans la course à l’Elysée, cela n’en a pas fait une garantie de réussite pour autant. La preuve par le résultat. Vu sous l’angle numérique, une forme de communication courte, digeste et contextualisée — le phénomène Snapchat ou « snackable » pour prendre le nouvelle expression consacrée — a pris l’ascendant sur une communication longue et plus cérébrale, pour le meilleur comme pour le pire. Nous vivons à l’ère nouvelle de l’abondance, celle d’une infobésité grandissante que les algorithmes « digestifs » ont pour mission de traiter. Corollaire de tout cela, l’information se donne toutes ses chances d’engager si elle peut être consommée rapidement, car elle doit se faire une place dans cette économie de l’attention où le « temps de cerveau disponible » se fait cher. De fait, la durée de vie d’une actualité, ou du moins la perception de nouveauté que nous pouvons en avoir, se voit raccourcie en raison de cette exposition quotidienne à tant d’informations. Indéniablement, c’est une mondialisation de l’information qui s’opère, un éclatement de la rétention du savoir rendue possible par le numérique. Si l’information tend à être consommée plus vite que par le passé, on se surprendra de moins en moins qu’une campagne électorale puisse basculer dans les derniers instants, si corrélation il y a.
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Ce facteur de péremption accélérée de l’information a semblé omis par le candidat et son équipe, car d’une part, il n’était pas nécessaire de s’attarder, et donc de donner du crédit dans une certaine mesure, à des futilités telle que celle d’Ali Juppé —cela fait partie en substance du « jeu » de l’Internet qui se délecte d’humour et de petites phrases—, et d’autre part il était primordial d’être au front jusqu’au dernier moment. Et peut-être davantage encore dans les jours qui ont précédé les échéances électorales. Ce sont ces fameux derniers jours qui ont fait défaut à Alain Juppé. À contrario, François Fillon s’est vu plébisciter par la presse et les sondages en toute fin de campagne seulement, et c’est cet effet d’instantanéité, de contextualisation positive de la campagne de François Fillon, soudain rassembleur après un long sprint en tête des deux favoris, qui a manifestement contribué, en partie, à la forte volatilité de l’électorat et in fine aux résultats écrasants du vainqueur de cette Primaire. La synthèse des sondages en date du 16 novembre —quatre jours avant le premier tour— montre à quel point le dynamique de fin de campagne a été forte à la lumière des résultats. 30112016_article-alain-juppe_image-10-11 Plébiscité dans les sondages jusqu’à la toute fin de campagne, comme nous l’avions analysé en amont du premier tour en publiant un baromètre de l’e-réputation des sept candidats, la situation s’est complètement inversée dans les derniers jours et Alain Juppé s’est vu rapidement perdre ce plébiscite qu’il détenait depuis de nombreux mois. L’intérêt pour les recherches associées à chaque candidat sur Google au cours de la deuxième et dernière semaine de campagne est venu corroborer cette tendance et renforcer l’hypothèse d’une dynamique filloniste, bien que volatile. 30112016_article-alain-juppe_image-12 Ces interactions numériques démultipliées et cette caractéristique d’instantanéité propre à l’Internet justifierait une étude approfondie sur la corrélation qui peut être faite entre l’issue d’un scrutin, comme celui-ci ou plus tôt dans le mois avec Donald Trump, et l’évolution du processus d’influence des opinions en ligne. Les internautes ont accès à quantité d’informations qu’ils lisent, commentent et partagent, en relation avec d’autres internautes. Et corrélation faible ou importante avec le résultat, c’est en tout cas le candidat hors radar qui l’a emporté.
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