Le passé de Florence resurgit : le bad buzz

Il est 17 heures ce dimanche et la pluie martèle la vitre du salon.

Florence est devant son ordinateur, bien calée sur un coussin, comme presque tous les soirs de ces deux dernières semaines. Elle se frotte les yeux, boit une gorgée de café froid et continue à pianoter sur son clavier. Un fond de musique l’accompagne, instrumental, pour éviter la déconcentration.

Derrière elle, punaisées au mur, des photos de voyages qu’elle ne regarde que lorsqu’elle fait une pause. C’est-à-dire pas souvent. Dernière ligne droite. Demain, ce rapport doit être remis. Aucun retard n’est permis.

Florence s’occupe du volet alimentaire dans les négociations du traité commercial avec l’Amérique du Nord, depuis plus d’un an maintenant. Le sujet, au-delà d’être complexe, est très polémique, particulièrement ces derniers mois. Elle sait qu’elle marche sur des œufs. La presse a relayé la colère citoyenne, les nombreuses manifestations, les pétitions.

A 32 ans, Florence est fière de son parcours professionnel. Elle ne veut pas que cela s’arrête. Aujourd’hui, elle fait partie de la délégation belge œuvrant à la négociation, représente, avec ses collègues, la Belgique, et en tire beaucoup de fierté. Florence veut bien faire les choses. Comme toujours. Pour éviter aussi de se faire démonter par des cadres supérieurs non habitués à voir débarquer un petit bout de femme si déterminé. « Bétonnez vos dossiers et tout ira bien ! » leur répétait le Professeur de méthodologie de la recherche. Bétonner, sourcer, vérifier, recouper. Alors, Florence cherche l’erreur, corrige, relit, inlassablement.

Alors qu’elle est toute à sa traque, son portable sonne. Concentrée, elle sursaute, interroge du regard l’engin et saisit l’appareil. « Bonsoir Madame, pardonnez-moi de vous appeler si tard mais je n’ai eu vos coordonnées qu’à l’instant. Je suis journaliste et j’ai lu sur un blog que vous aviez par le passé participé à une opération activiste anti-OGM … qui s’est terminée devant les tribunaux. » Florence en a le souffle coupé. Elle bascule en arrière dans son siège. D’un coup d’un seul, la panique l’envahit. « Je publie un article demain matin à ce sujet. Avez-vous un commentaire ? »

Prise au dépourvu, Florence coupe immédiatement la communication. La gorge serrée, elle se sent coincée, acculée. Une longue, une interminable minute s’écoule. Immobile, Florence est comme suspendue dans le temps. Soudain, elle se remet à pianoter, fébrilement, sur son clavier, enchaîne les recherches, multiplie les opérateurs booléens et finit par tomber sur le billet dont lui parlait ce journaliste.

Ses doigts suspendus en l’air, tout est là sur le net, au vu et au su de tous, depuis quelques semaines et elle ne le savait pas. Florence se prend la tête dans les mains en fixant cet écran de malheur. Son nom apparaît toutes les trois lignes ! Sa carrière est fichue ! Adieu la délégation ! La voilà décrédibilisée. Florence enfouit sa tête dans ses bras, couchée sur son bureau. Le coup est dur. En pleine ascension professionnelle …

Tout à coup, Florence se rappelle de cet exposé sur la réputation en ligne qu’elle avait suivi. Elle avait même échangé quelques mots avec l’intervenant. Sa carte de visite doit bien se trouver quelque part … probablement dans le dépliant de cette journée d’études … oui !

Florence compose le numéro. Ça sonne … on décroche. « Ma carrière est en jeu, il faut que je vous voie de toute urgence. S’il vous plaît … Dans une heure ? Mille mercis. » Florence souffle. Quelqu’un est là, disponible, pour affronter avec elle cette tuile.

Elle est attablée depuis une demi-heure quand M. Renier arrive. Florence commande une Leffe radieuse, M. Renier une bière trappiste triple Westmalle. « Appelez-moi Sébastien. Expliquez-moi ce qu’il se passe. » Et Florence, après une belle lampée, évoque ce passé qu’elle pensait enfoui à jamais.

En 2008, alors qu’elle était étudiante en bioingénierie à l’Université de Louvain, elle passait du temps au sein d’une association militante. Elle y retrouvait des copains, elle croyait sincèrement aux valeurs que l’association défendait, elle se sentait utile et avait l’impression de pouvoir changer le monde. Même un peu. Les manifestations étaient régulières, les opérations aussi. On préparait, on planifiait, on étudiait des plans, des horaires, on s’équipait avant de passer à l’action contre l’ennemi.

Cette fois-là, l’opération visait un centre de recherche de Louvain-la-Neuve qui produisait, en toute discrétion, des semences transgéniques de pommes de terre. Le collectif de Florence avait décidé de frapper un grand coup.

L’opération avait été préparée de longue date, minutieusement, mais les choses ne se sont pas passées selon les plans. Alors qu’ils avaient réussi à pénétrer dans un des laboratoires, deux de ses camarades ont commencé à saccager la pièce. Les chaises de bureau volaient, les tables étaient renversées, les panneaux d’affichage arrachés au mur. « C’était pas du tout prévu comme ça ! On devait juste détruire les semences ! » s’exclame Florence devant un Sébastien impassible.

Les deux autres avaient ensuite sorti de leur poche des briquets. Ils mirent le feu aux stores, aux rapports, à tout ce qui pouvait s’enflammer. Florence avait essayé de les en dissuader mais tout alla tellement vite … Quand le vigile arriva dans le laboratoire, les flammes étaient déjà bien hautes et l’explosion surprit tout le monde. D’où pouvait-elle provenir ?

Florence fait une pause dans son récit, ferme les yeux et serre son verre de bière à le briser avant d’enchaîner. « Un de mes camarades y a perdu la vie. » Sébastien écoute, attentif. « L’autre s’est enfui ! Il m’a planté là ! ». C’est alors qu’elle a vu le vigile sans connaissance et grièvement brûlé. Tout cela, Florence l’a raconté à la Police, plusieurs fois. Mais les enregistrements des caméras extérieures ne plaidaient pas en sa faveur.

Alors, on s’est dirigé vers le procès. Un procès très médiatisé. Que ce soit dans la presse traditionnelle ou via les réseaux sociaux d’alors. Sur fond de polémique pro/anti OGM. Florence pouvait compter sur un comité de soutien mais avait aussi contre elle nombre de médecins et scientifiques. L’affaire avait pris une dimension sociétale qui dépassait le « simple » accident. L’issue dramatique de cette opération avait concentré toutes les colères sur « la rescapée ». « J’étais la seule encore sur place, après l’explosion, et à peine écorchée. Il fallait que quelqu’un paie. » Le procès a connu des rebondissements, avec son lot de recours introduits et d’ « experts ».

Mais finalement, Florence fut relaxée faute de preuves. L’appel confirma ce jugement au grand dam des victimes.

« Vous savez, Sébastien, on dit toujours que la présomption d’innocence profite à l’accusé. Eh bien, dans mon cas, ce n’est pas tout à fait vrai. Juridiquement oui, mais voyez ce qu’il se passe aujourd’hui. Je trouve avoir déjà payé bien plus que je n’aurais dû. » Et Florence brandit au nez de Sébastien le billet de blog sur lequel le journaliste veut bâtir son accusation.

Florence se prend la tête dans les mains. Que faire ? Attendre l’orage en espérant qu’il passe à côté ? Nier effrontément ? Assumer ? La situation est complexe et le délai n’arrange rien, loin de là. Il ne reste que quelques heures pour adopter une stratégie. Pour préserver sa carrière.

Crédits photos : Vincent Pittard et Peter Curbishley

A la suite de cette histoire, vous découvrirez :

Les différentes stratégies

  • Elle nie et contre-attaque
  • Elle laisse passer la vague
  • Elle reconnait les faits et s’explique
  • Elle botte en touche

Le décryptage

  • Démentir et contre-attaquer
  • Ne rien faire et attendre
  • Reconnaître et s’excuser
  • Déplacer le débat

Les conseils pratiques

  • Surveillez ce qu’on dit de vous
  • Identifiez et anticipez vos zones d’ombre
  • Agissez dès les « signaux faibles »

 Voir aussi :

 

 

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