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La Justice avec un grand J est parfois prise de vitesse par une justice des hommes qui se fait … sur le Web. Une justice mue éventuellement par de bons sentiments mais qui mène souvent à des actes répréhensibles.

Une jeune femme se fait agresser dans un square en plein jour. Elle se reposait sur un banc lorsque son agresseuse passe à l’attaque. Violences verbales, physiques, répétées. L’acte est filmé et rapidement partagé sur le Web. La communauté s’enflamme, les internautes partagent à tours de bras, c’est le buzz. Un détail, mais de taille : la jeune femme attaquée est handicapée. Vulnérable par définition, elle mérite attention, protection. L’agression prend alors une toute autre couleur, celle d’un acte inacceptable, indigne, inhumain.

L’effet boomerang

En une poignée d’heures, les réactions explosent. Les choses se retournent contre l’agresseuse, à son tour agressée, insultée, menacée … victime. On fouille son passé numérique, on détourne ses photos, on balance ses coordonnées à tout-va. Des pages Facebook sont créées, des tweets circulent tant et si bien que l’agresseuse devient un des sujets les plus discutés sur Twitter. Les uns condamnent, les autres usurpent son identité. Pour mieux nuire. Les proportions sont telles que la police intervient. Et avec elle la Justice.

Happy slapping

Le happy slapping, apparu relativement récemment, consiste à filmer quelqu’un que l’on violente. Ce type de vidéos est viral par nature, sa diffusion est rapide et massive. Émotionnelle. Le fait que la personne violentée soit ici handicapée va accentuer cette diffusion. Parce que des internautes sont indignés, en colère. Ils se doivent de réagir. Au nom de bons sentiments, ces internautes outrepassent les règles, souligne Yann Leroux, psychologue, et font à leur tour du tort à autrui. Une sorte « d’oeil pour oeil, dent pour dent » (dis)proportionné. Justice des hommes via le Web.

Social shaming

Le social shaming se traduit littéralement par « humiliation sociale », soit l’humiliation d’une personne devant une « communauté à laquelle elle appartient ». En l’occurrence, la communauté web, le réseau social. Concrètement, la victime est filmée tandis qu’on l’humilie, qu’on la rabaisse, qu’on la méprise, puis la vidéo est diffusée sur le Web. C’est par exemple des vidéos de parents qui, en guise de punition, rasent les cheveux de leur enfant ou détruisent leur ordinateur ou autre smartphone. L’impact psychologique, important, peut s’avérer très grave. Il a d’ailleurs poussé une jeune fille à se suicider.

Un groupe, pas d’individus

Plus les internautes sont nombreux à réagir, plus le groupe virtuel s’agrandit et plus la désindividuation apparaît. « Le réseau social est un groupe immense dans lequel il est possible de perdre les limites de soi, analyse Yann Leroux. Les gens laissent très rapidement sur les réseaux sociaux des commentaires qui sont excessifs. C’est une situation groupale dans laquelle les individus ne sont pas clairement identifiés et où l’on peut très facilement écrire que finalement telle ou telle personne mériterait la peine de mort, etc. », poursuit-il.

La Justice

Sur le Web, les propos, les actes peuvent aller très loin. Trop loin. Violation des données personnelles, droit à l’image, diffamation, humiliation, lynchage, incitation à la haine, appel à la vengeance, etc. La présomption d’innocence est balayée par une présomption de culpabilité. Sur le Web, tout va très vite. Pas le temps de vérifier, de recouper, de nuancer. Le buzz est lancé, il sera décuplé, déformé. Et même si la Justice l’enraie, même si des condamnations tombent, il en restera presque toujours des traces, indélébiles, comme des blessures qui jamais ne cicatrisent.

Effacer des traces indélébiles ?

Il faut désormais composer avec ce monde virtuel, cette autre réalité qui s’immisce dans notre quotidien. La Justice doit recadrer les excès, certainement, mais elle n’effacera pas tout ce qui se dit, tout ce qui s’écrit. Alors, plutôt que de chercher uniquement à nettoyer le Web, il est plus efficace encore de composer avec ces traces embarrassantes. Pour les contextualiser, en tirer les leçons, voire les forces. Nettoyer, veiller, construire.
image : James De Mers (pixabay)

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